La plupart des producteurs vendent leur cidre dans l’année. Moi, je fais du cidre de garde. C’est très différent.
Où ?
Le verger de Florian Bourrienne est situé à Montviette, à côté de Livarot. Bien que ce verger soit en plein pays d’Auge, son cidre n’a pas l’AOC : Florian veut être libre, il fuit l’uniformité, et le cahier des charges de l’AOC est trop restrictif pour lui : chaque verger donne un goût différent.
Terroir, parcellaire et variétés
Le verger de quinze hectares, entièrement bio, a été planté des mains de Florian et de sa famille en 1995. Les sols, siliceux-argileux, bénéficient d’une excellente exposition sud-est. Le verger se compose de parcelles délimitées dont chacune est plantée d’un mélange de variétés et peut produire un cidre particulier. L’ensemble des pommes se catégorise en trois goûts, que l’on dose pour la composition du cidre : pommes douces, amères ou acides.
Fabrication
L’élaboration d’un cidre est un travail complexe. Il exige une fine observation des conditions de chaque millésime afin de réaliser le bon assemblage. Florian ne cherche pas à obtenir une stricte constance de goût chaque année, mais il fait des cuvées : chaque cidre est unique. L’assemblage dépend de l’alternance des fruits et des variétés. Selon les années, certaines produisent peu, d’autres davantage, et cela complique encore le jeu : année sèche ou année humide, pommes plus ou moins douces… On assemblera donc différentes proportions de chaque variété d’une année sur l’autre afin d’obtenir le goût désiré.
La saveur dépend aussi des conditions de fermentation. Lors des années difficiles, par exemple, le ramassage des pommes peut tarder un peu. Une fois le jus pressé se déroule une première fermentation, appelée défécation, suivie d’une seconde en cuve, au cours de laquelle le taux de sucre baisse et le cidre se fait tranquillement. Les fermentations sont extrêmement lentes et patientes quand on désire faire du cidre de garde, et si elles s’activent trop, Florian peut les bloquer temporairement. Certaines mises en bouteilles se font parfois jusqu’en mai ou juin.
La notion de fermentation naturelle est extrêmement importante dans l’élaboration d’un cidre de garde. Quand le cidre arrive à la densité voulue, certains producteurs effectuent une filtration très serrée qui supprime les levures natives, et ils rajoutent à la mise en bouteille juste assez de levures pour obtenir une prise de mousse. En d’autres termes, ils changent la nature des levures. Pour le cidre industriel, on pasteurise et on obtient la prise de mousse avec du CO2. Florian, au contraire de tout cela, fait une filtration très légère afin de laisser un peu de dépôt : ce sont les levures originelles. Il obtient ainsi une prise de mousse naturelle, ce qui devient rare en cidriculture. Le travail avec levures indigènes est difficile à gérer, d’autant plus que la fermentation se fait à température ambiante (Florian parle d’« angoisse de la prise de mousse »), mais le résultat en vaut largement la peine. On peut parler de « cidre nature » sans hésitation.
Les cidres
Les méthodes de production de Florian, très liées à la nature de chaque millésime, donnent des cidres bien individualisés d’une année sur l’autre. C’est un travail titanesque et sans concession : si la cuvée ne convient pas à Florian, il la retire. L’objectif est de faire un cidre « qui va dans le bon sens ». Cette exigence envers un produit qui reste naturel et vivant va à l’encontre des moyens modernes, lesquels suppriment peu à peu ce qui fait la singularité du cidre. Contrairement à la plupart des producteurs qui écoulent dans l’année la production de chaque millésime, Florian Bourrienne fait des cidres de garde, qui présentent durant leur jeunesse un bel équilibre sucré pour se développer de la bonne façon des années plus tard. Ils ont donc un profil très doux, très rond, avec une belle saveur de pomme confite et des notes acides et astringentes qui s’accentuent avec le temps. Cette sucrosité paraît importante à ceux qui sont habitués au cidre mainstream, mais il faut considérer que l’on est sur un chemin, en route pour quelque part. Il est important de mieux faire connaître le cidre de garde et d'accepter la patience qu’il exige, comme un grand vin.