« Y a pas beaucoup de cĂ©pages qui ont autant de facettes que le gamay. On peut faire des petits fruits rouges jusquâau vin de garde ! »
OĂč ?
Nicolas Chemarin, trente-cinq ans, reprĂ©sente la quatriĂšme gĂ©nĂ©ration de vignerons Ă son domaine viticole familial de Marchampt, en appellation Beaujolais-Villages, sur une terre tout en cailloux oĂč il cisĂšle des vins surprenants de profondeur et de sincĂ©ritĂ©. LâarriĂšre-grand-pĂšre de Nicolas pratiquait la polyculture ; la dĂ©cision de nâexploiter que la vigne date du temps de son pĂšre. Son grand-pĂšre avait auparavant achetĂ© la grande bĂątisse du domaine et y avait construit un chai en bĂ©ton semi-enterrĂ©, encore en exercice. AprĂšs un BTS en viticulture et un apprentissage Ă Pouilly-FuissĂ©, Nicolas reprend en 2005 deux hectares de vignes de son pĂšre. En mĂȘme temps, il sâoccupe pendant deux ans des vinifications chez Louis TĂȘte, en Beaujolais, ce qui ne lâempĂȘche pas de signer ses premiĂšres cuvĂ©es en 2006. En 2008, il acquiert dâautres vignes et dĂ©cide de se consacrer uniquement Ă son domaine. Un peu de linguistique locale, Nicolas est un Grobis : câest le surnom quâen Beaujolais on donne aux habitants de Marchampt, et lui-mĂȘme a reçu celui de Pâtit Grobis, ce qui explique sa cuvĂ©e Ă©ponyme.
Terroir, parcellaire et encépagement
Nicolas exploite en tout une dizaine dâhectares, dont 80 % en AOC Beaujolais-Villages. Depuis Xavier de Pontac (crĂ©ateur au XVIIe siĂšcle du chĂąteau Haut-Brion et des vins rouges modernes), on dit quâil faut que la vigne soufre : Ă Marchampt, câest le cas. Le terroir, trĂšs escarpĂ©, consiste en sols rocailleux et pauvres, reposant sur une roche granitique grise (et non rose comme il est frĂ©quent sur cette appellation). Les vignes, sur une trentaine de parcelles, reposent sur le granit Ă travers un sol trĂšs mince, et leurs racines plongent profondĂ©ment dans le substrat rocheux. Cette nature minĂ©rale donne de trĂšs petits rendements et des ceps dâĂąge vĂ©nĂ©rable qui, parfois, se rabougrissent comme des bonsaĂŻs. Selon la configuration du sol, les vignes sont taillĂ©es en gobelet ou relevĂ©es sur Ă©chalas. Leur Ăąge moyen est de 80 ans. LâencĂ©pagement est classiquement beaujolais : gamay noir Ă jus blanc pour les rouges, chardonnay pour les blancs.
Sur lâappellation RĂ©gniĂ©, Nicolas exploite deux terroirs diffĂ©rents : les Bullats, Ă 280 m dâaltitude, avec des sols sableux lĂ©gers et filtrants nĂ©s de la dĂ©composition du granit rose, et La Haute Ronze, lieu-dit de haute qualitĂ© trĂšs proche de Morgon : les sols, plus profonds et argileux, donnent des vins charpentĂ©s. En appellation Morgon, Nicolas exploite 30 ares sur Les Charmes et 37 sur Corcelette.
MĂ©thodes culturales
« Pour aller faire des beaujolais-villages lĂ -haut, il faut en vouloir ! Ou ĂȘtre nĂ© ici⊠» confie Nicolas, dont les vignes ne connaissent que le travail manuel. Ă son grand regret, la certification bio est impossible sur un terrain si inclinĂ©, mais Nicolas se rapproche au maximum des critĂšres du bio Ă la vigne et « suit la lune » en bon paysan. De toute façon, entre 450 et 560 mĂštres dâaltitude, sur des pentes de 35 Ă 55 %, la mĂ©canisation est impossible et tout est fait Ă la main. Sur tout le domaine, le rognage est fait Ă la cisaille. Si les sols des parcelles Ă Morgon et Ă RĂ©gniĂ© sont travaillĂ©s, en Beaujolais-Villages lâherbe est tondue pendant tout lâĂ©tĂ©. La parcelle Le Rocher est conduite sur Ă©chalas relevĂ©s deux ou trois fois, ce qui aide au mĂ»rissement. AprĂšs vĂ©raison, les parties basses, autour des raisins, sont effeuillĂ©es. Un des avantages du domaine est que chaque terroir mĂ»rit Ă des pĂ©riodes diffĂ©rentes, ce qui permet dâĂ©taler les travaux sur trois semaines.
Vinification
Nicolas Chemarin vinifie de deux façons : pour le nĂ©goce, avec thermovinification (« contre ma nature mais pour mon banquier »), et pour lui-mĂȘme, des cuvĂ©es personnelles nature rĂ©alisĂ©es en mode traditionnel. La vendange est Ă©grappĂ©e ou non selon les cuvĂ©es et les terroirs. Les crus subissent de longues macĂ©rations (de 18 Ă 30 jours) avec pigeage et contrĂŽle des tempĂ©ratures (Nicolas travaille Ă froid, autour de 20 °C). Trente pour cent des crus sont Ă©levĂ©s dans les cuves de bĂ©ton thermorĂ©gulĂ©es installĂ©es par son grand-pĂšre, tandis que les soixante-dix pour cent restants passent en fĂ»ts de quatre Ă dix vins afin dâapporter une oxygĂ©nation mais peu ou pas de sensation boisĂ©e. Pour les microcuvĂ©es, Nicolas se sert de petites cuves en inox. Aucun ajout de sulfite nâest fait lors de lâĂ©levage. Aucune filtration exceptĂ© pour Pâtit Grobis, filtrĂ© sur terre blanche.
Les vins
Pour faire du vin, un terroir ingrat, difficile, est une bĂ©nĂ©diction, si dur que soit le travail que cela exige. Le jeune Nicolas est dĂ©jĂ connu pour la qualitĂ© des soins quâil apporte Ă la vigne et son intelligence dans les vinifications. La cuvĂ©e Le Pâtit Grobis, friande et fruitĂ©e, est un vin de plaisir qui existe en blanc et en rouge. Les Vignes de Jeannot est frais, enjĂŽleur, fruitĂ© (fraise) et rafraĂźchi par lâaltitude (450 mĂštres). Le Rocher, vendangĂ© encore plus haut (560 mĂštres), prĂ©sente une ligne tannique trĂšs pĂšre et pure, au nez des notes de patchouli et, en bouche, un Ă©quilibre fruitĂ©-floral â rose, griotte, Ă©pices. Ce sont des vins rares et convoitĂ©s quâon peut attendre deux ou trois ans Ă partir de leur millĂ©sime.