Le Petit Domaine de Gimios

Je compris d’emblée que le Petit Domaine de Gimios, ses habitants, humains et non humains, formaient un tout cohérent, perceptible dans les vins. Cette cohérence bien difficile à exprimer par les mots pourrait néanmoins se résumer par les notions imprécises de fluidité, d’évidence et de profondeur.

Christelle Pineau, La Corne de vache et le Microscope, éditions La Découverte, Paris, 2019.

Où ?

En Haut-Languedoc, Gimios est un lieu-dit proche de Saint-Jean-de-Minervois, fameuse origine de muscat doux. Anne-Marie Lavaysse ne fait aucune entorse à la tradition en produisant de beaux vins à base de ce cépage local. Le domaine, qu’elle a créé en 1993 avec Pierre, son mari, en reprenant plusieurs vignobles anciens à l’abandon, est petit par le nom mais grand par l’esprit. S’il est dédié au raisin, celui-ci doit partager l’espace avec d’autres cultures potagères et vivrières et un peu d’élevage. On se trouve en présence d’une ferme traditionnelle où les Lavaysse cultivent et cueillent de quoi se nourrir, et la vigne s’insère dans cet ensemble. Aux travaux de la ferme comme à ceux de la vigne, aucune chimie n’est appliquée, aucune mécanisation n’est pratiquée. L’agriculture biologique est une profession de foi pour Anne-Marie, femme sensible et instinctive, attentive à la nature (et au vin nature) de tout son corps et de toute son âme.

Terroir, parcellaire et encépagement

Constitué d’anciens vignobles abandonnés, le domaine couvre environ cinq hectares, en tout seize parcelles de variétés autochtones. Les vignes, plus que centenaires, sont situées sur des coteaux rocheux voire rocailleux, schisto-calcaires, à près de 320 mètres d’altitude. Le muscat à petits grains, spécialité locale, représente la majorité de l’encépagement, et les cépages rouges sont ceux auxquels on s’attend dans la région : grenache, mourvèdre, syrah, un tiers de chaque. Carignan, cinsault, terret rosé, noir ou blanc, œillade, alicante, aramon, etc., complètent l’ensemble. Une véritable ampélothèque du Sud.

Méthodes culturales

Pour Anne-Marie, viticulture et polyculture, c’est tout un. Pêle-mêle au milieu de ses vignes croissent des arbres fruitiers, des légumes, des salades, des herbes sauvages, sans oublier la vache que l’on y voit parfois paître. La viticulture est de type biodynamique (labels Demeter et Ecocert) et entièrement naturelle, sans ajout de soufre, de cuivre ou d’intrant chimique d’aucune sorte. Anne-Marie entend respecter le mot « nature » jusqu’au bout : les sols ne sont ni labourés ni désherbés (la vache et un fauchage occasionnel pourvoient au nécessaire), et les vignes, non palissées, jamais malades, reçoivent juste un peu d’infusion d’herbes sauvages cueillies sur le site. Les vendanges, entièrement manuelles, se font dans la fraîcheur du matin.

Vinification

La vendange est éraflée puis foulée aux pieds de façon traditionnelle. La vinification s’amorce par une macération pelliculaire d’environ dix jours dans des cuves en inox au moyen de levures autochtones. Pour les assemblages, les cépages sont cofermentés en cuve. Pas d’ajout de sulfites à la mise en bouteille.

Les vins

« Delicious wines », « pureté et fraîcheur du fruit », « francs et digestes », les éloges pleuvent de toute part, tant pour les merveilleux muscats secs, moelleux ou liquoreux que pour les rouges, délibérément fruités. Les muscats affichent une fraîcheur extraordinaire : secs, ils offrent une jolie rondeur et une petite note sucrée très séduisante ; doux, ils gardent une belle acidité à travers leur nature luxuriante. Anne-Marie veut préserver, dans tous ses vins, l’impression de croquer dans des raisins frais, mais la minéralité des sols et la concentration procurée par les vieilles vignes à faible rendement sont également bien présentes. Ces vins très équilibrés sont aussi estimés que les bouteilles en sont rares.