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La Tribu Alonso

La Tribu Alonso, c’est Cyril, viticulteur biologique et Karine, son Ă©pouse naturopathe. Tous deux, Ă  Marchampt (Beaujolais), cultivent un vignoble conservatoire de cent quarante variĂ©tĂ©s traditionnelles de la rĂ©gion RhĂŽne-Alpes : gamays, chardonnays, pinots et hybrides anciens. Ils en font des vins nature par famille de cĂ©pages, sans aucun intrant chimique ni ajout de sulfites.

Cela fait un peu plus de vingt-cinq ans que je vinifie en zĂ©ro intrant. Au dĂ©but, on fait du vinaigre, et petit Ă  petit on se fait sa propre mĂ©thode. Il ne faut surtout pas imiter les autres, chacun a son coup de patte. DĂšs qu’on a trouvĂ© quelque chose qui nous ressemble, on se sent bien.

Cyril Alonso

OĂč ?

Marchampt, en Beaujolais. Si vous nous suivez rĂ©guliĂšrement, ce nom ne vous est pas inconnu, car c’est aussi le village de notre P’tit Grobis Nicolas Chemarin. C’est le Beaujolais vert, le cĂŽtĂ© forestier de l’appellation. En 2019, Cyril Alonso et son Ă©pouse Karine rachĂštent une propriĂ©tĂ©, pas seulement un vignoble mais un conservatoire de vignes Ă©tabli depuis 1952. Quarante cĂ©pages diffĂ©rents y croissent sur deux hectares et demi : c’est le seul conservatoire viticole privĂ© de France. Cyril y met immĂ©diatement en Ɠuvre la conversion Ă  l’agriculture biologique. Et comme il fait du vin depuis les annĂ©es 80, et du vin sans intrant depuis 1998, il ne voit aucune raison de changer de mĂ©thode. L’activitĂ© conservatoire, elle aussi, se dĂ©veloppe de plus belle, et l’ampĂ©lothĂšque de La Tribu Alonso compte dĂ©sormais cent quarante cĂ©pages. 
 

Beaujolais vert

SituĂ©e Ă  350 mĂštres d’altitude, la maison Alonso est au cƓur d’un biotope de 480 hectares, classĂ© en 2008 et traversĂ© par trois riviĂšres (le domaine est autonome en eau). Les vignes montent jusqu’à 480 mĂštres, sur un terrain trĂšs escarpĂ© (jusqu’à 47 %) de granite gris et de roche bleue, typique de la rĂ©gion : la terre arable est maigre, et par endroits la vigne est presque sur la roche mĂšre. Impossible, ici, de cultiver avec des machines : le travail est entiĂšrement manuel. Le site est entourĂ© de forĂȘts de feuillus qui ne subissent ni coupes ni dĂ©forestation. Les Alonso ont posĂ© des ruches, essentielles pour la pollinisation.
 

Cépages et pépins

Mais quels cĂ©pages y a-t-il au domaine Alonso ? Les cultivars ancestraux de la rĂ©gion RhĂŽne-Alpes et leurs nombreux variants, souvent en franc de pied : 28 chardonnays (il y en a en rĂ©alitĂ© 60, mais les 32 autres sont des clones), incluant les chardonnays gris, rose et olivette ; 32 gamays — liste non close, car d’autres spĂ©cimens sont introduits chaque annĂ©e, par exemple le plant-robert, crĂ©Ă© dans les annĂ©es 1920 ; le gamay Gloriod, un gamay noir Ă  jus blanc dont on peut faire des vins blancs ; les gamays de Bouze, le gamay blanc ; et dix-sept autres en 2024. Enfin, la famille des pinots : neuf variĂ©tĂ©s auxquelles s’ajoutent des pinots slovaques, le pinot fin (variĂ©tĂ© du XVIIIe siĂšcle) et mĂȘme des pinots velus. Et, pour clore la procession, 52 hybrides diffĂ©rents, non pas les hybrides nouveaux dĂ©veloppĂ©s par l’Inra, mais les anciens hybrides du Lyonnais et de l’ArdĂšche.
Le tout est cultivé sur trois parcelles : Yéti, porteuse de trente et un gamays ; Paradis, avec plusieurs gamays plantés en 1940 ; et Utopia, plantée de cent huit cépages différents.
Une diversitĂ© viticole remarquable, un cours d’histoire autant que de viticulture. Au fil du temps, elles ont mutĂ© naturellement en contact avec d’autres cĂ©pages : des hybridations naturelles se sont produites par pollinisation. La famille Alonso tient Ă  cette diversitĂ© et l’encourage, d’oĂč l’importance des ruches et des abeilles qui accentuent ce fonctionnement alĂ©atoire. 
Une pratique qu’elle affectionne aussi est celle du semis de pĂ©pins. Depuis le XVIIe siĂšcle, la vigne est asexuĂ©e et se multiplie par bouturage ou greffage. Or, quand on sĂšme un pĂ©pin, apparaĂźt une vigne dont la couleur n’est pas forcĂ©ment celle qu’on attend et dont les raisins retrouvent la saveur d’origine du cĂ©page, musquĂ©e et foxĂ©e, qu’il avait des siĂšcles auparavant. Une expĂ©rience fascinante que Cyril Alonso compte poursuivre.
 

À la vigne

Il ressort de tout cela qu’il est inutile de parler d’agroforesterie — la forĂȘt est tout autour — ni de complantation : avec 140 cĂ©pages sur deux hectares et demi, c’est obligatoire. Cette logique incite la Tribu Alonso Ă  faire des vins par familles de cĂ©page. Ils ont 28 chardonnays ? Leur cuvĂ©e de chardonnay en contiendra donc 28. Au lieu de faire des microcuvĂ©es — ce qui serait absurde dans ces conditions —, l’intĂ©rĂȘt est de faire plus de volume avec plusieurs variantes du mĂȘme cĂ©page.
Cyril Ă©tant viticulteur et Karine naturopathe, leurs pratiques se fondent sur une Ă©coute attentive de la nature. Aucun labour n’est pratiquĂ© : les vignes, taillĂ©es en gobelet, sont enherbĂ©es, et quand elles souffrent un peu trop, un coup de pioche les soulage. Aucun engrais n’est utilisĂ© en dehors de l’ajout hebdomadaire de la fiente des douze poules de la maison, mĂ©langĂ©e Ă  de la paille. En ce qui concerne les traitements protecteurs, entre le zĂ©ro traitement de la permaculture et les cinq Ă  huit traitements annuels de la biodynamie, ils ont crĂ©Ă© leur mesure : hĂ©liosoufre (un fongicide de biocontrĂŽle) et terpĂšne de pin avec soufre volcanique contre l’oĂŻdium et, contre le mildiou, du savon noir et de l’huile essentielle de lavande.
Les vendanges sont évidemment manuelles et les équipes sont petites (de 5 à 8 personnes). La démarche, dit Cyril, est difficile à comprendre, donc il préfÚre prendre son temps afin que les vendangeurs la comprennent mieux. 

Au chai

Afin de prĂ©server la fraĂźcheur et le fruit, Cyril s’inspire de Jules Chauvet en optant pour des cuvaisons trĂšs courtes, quatre ou cinq jours Ă  tempĂ©rature ambiante : « Jusqu’à 1 050 de densitĂ©, disait Chauvet, on garde les arĂŽmes primaires. Au-delĂ  se dĂ©clarent les arĂŽmes secondaires, Ă©picĂ©s, empyreumatiques, et enfin les arĂŽmes terreux ou vĂ©gĂ©taux. » C’est aussi une affaire de conservatoire et de pluralitĂ© des cĂ©pages : « S’il y en a beaucoup dans la mĂȘme cuve, dit Cyril, certains seront plus rustiques, plus austĂšres, et d’autres plus en finesse. Or, si la cuvaison est trop longue, les plus rustiques prennent le dessus. »
Pour les vins blancs, tout est vendangĂ© ensemble et passe en pressurage direct. Les moĂ»ts fermentent avec leurs lies du dĂ©but Ă  la fin, sans aucun dĂ©bourbage, parce que les lies sont antioxydantes et facilitent la fermentation. Celle-ci est encore encouragĂ©e par les ondes alpha provenant de la sonoritĂ© de bols tibĂ©tains, « la seule onde qui fait vibrer l’eau ». Au dĂ©but, les Alonso faisaient sonner les bols directement dans le cuvier, mais ils ont amĂ©liorĂ© la mĂ©thode et utilisent des enregistrements.
Les Ă©levages se dĂ©roulent dans plusieurs types de contenants : cubes en fibre de verre, barriques de plusieurs vins rĂ©cupĂ©rĂ©es chez des viticulteurs de la rĂ©gion, Ɠufs en amidon de maĂŻs ou amphores en terre cuite. L’objectif est de prĂ©server le raisin pur, de ne jamais boiser.
Les pratiques de la Tribu Alonso Ă©veillent l’intĂ©rĂȘt. « Cette annĂ©e, sept viticulteurs qui sont venus nous rendre visite ont emportĂ© des boutures. Vraiment, aprĂšs l’utopie du dĂ©marrage, nous pensons que notre dĂ©marche va faire des petits ! »

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