Univers sensible Une île au pays des îles. Un volcan pour souder au ciel les entrailles de cette terre où Éole vous passe une soufflante. Ici rayonne Samos, l’île qui à défaut d’océan de vignes est ourlée par la mer, dite Égée, aux confins de l’Europe et … de cette Asie Mineure qui vient s’échouer aux flancs de la Grèce orientale. Ici, Jason Ligas, vigneron-mosaïque (à la fois grec, allemand et français) ne pouvait faire moins que les Samiens originels, pionniers hellènes voguant vers l’occident pour raconter à l’ouest le souffle chaud du soleil, les terres arides et les vignerons de peu. Comme après eux, il aurait pu s’en tenir à une expression convenue du Muscat de Samos. Il en sera autrement.
Philosophie & ambitions
“Je veux révéler l’expression des micro-terroirs de Samos, gagner le respect des gens d’ici, ne pas arrêter les choses qui ont cours, les préserver, me nourrir de ces gestes traditionnels. Pour alimenter mon projet, entièrement tourné vers une idée bien précise de la qualité, je m’en remets à l’infiniment petit. Tout comme je crois en l’infiniment lent”. Mener à bien cette ambition oblige à entrer en mission pour s’employer à sauver les raisins locaux de haute expression du délavage anonyme de l’industrie, à préserver le patrimoine de petits viticulteurs et offrir une seconde vie à une cohorte de vignes à l’abandon. Un geste contemporain à des années-lumière de la mythologie, qui ne renie rien du passé et se pense au présent. Autant qu’au futur.
Le contraste, une règle
La Grèce viticole n’est ni une page blanche ni un nouvel eldorado pour happy few. Pour diluer le poids de l’histoire, Jason se joue des idées reçues et fait de sa liberté son moteur. « Je veux m’appuyer sur la force des contrastes et associer « Grèce et vins élégants », « Muscat et gastronomie », « Structure coopérative et qualité ». Aussi, ses quilles -vivantes !- sont-elles animées par une somme de talents et de convictions, au premier rang desquels on compte Jason, ses 14 hectares de vignes, son passé chez ses mentors (Anselme Selosse, Jean Gardiès, le grec -et familial- domaine Ligas). Et son associé, le cuisinier Vassili Alexiou.
Aventure collective
C’est au hasard de vacances, dans le secret des murs de la coopérative locale, que les deux amis croisent une toute jeune œnologue affairée autour d’un muscat en fermentation. L’énergie, les aptitudes de la jeune femme et un vénérable 1958 finiront de les convaincre de la puissance du collectif. Ces forces vives seront épaulées par l’auvergnat Patrick Bouju, vigneron des volcans dont les vins au naturel sont depuis longtemps dans les radars de la presse internationale.
Le végétal et minéral
Le Muscat de Samos ne s’apprivoise pas vraiment. Révéler son potentiel astreint à des gestes forts, dont les premiers se pensent dans les vignes, parfois irradiées par 40°, s’assagissant à 22° vers 800 mètres d’altitude. Les parcelles qualitatives identifiées, il a fallut engager un long travail pour restaurer vignes, terrasses, murets et sols. Une fois la production calée sur un cahier des charges centré sur la permaculture, Jason a appliqué les recettes qu’il a en tête depuis toujours : camomille et ortie pour calmer ardeurs du soleil, baumes protecteurs de lies d’huile d’olive et de propolis pour aider à la cicatrisation de la vigne. Au fil d’un parcellaire disséminé en trois épicentres, où 20 kilomètres réclament souvent 2 heures en 4×4, se relaient des lieux austères, formés de fonte ferreuse, schistes ou calcaire. Mais chaque fois hérissés de chapelles.
Muscat et associé
« Le cépage n’est pas un problème, le vigneron, si ». Les manières priment donc. Elles ne sont pas foncièrement mystérieuses : en cave, seul le recours au froid est toléré. Pour le reste, aucun intrant, travail par gravité, recueil des jus par égouttage (sans pressurage, donc). Et puisque ce muscat de Samos est nanti d’une formidable acidité et d’une grande dynamique en bouche, tout est pensé pour mettre en lumière salinité, minéralité et finesse. A ce panorama s’ajoute une coquetterie : le rouge « Auguste » (100 % cépage Augoustiatis), né de schistes, vinifié en grappes entières, affiné en amphore, œuf puis barrique. Terminaisons nerveuses de ce travail, les étiquettes de l’artiste Anthony Duchêne interrogent et forment une promesse. Tout comme la bouteille noire à cire noire, la paraffine, le cul profond du flacon, destinés à favoriser une lente évolution et la longue garde auxquels se prêtent ces vins d’auteurs, d’abord nés « Sous le végétal », au cœur de l’île qui abrite le Mont Ampelos. Oui, Ampelos, soit « vigne, « vin » en grec. Rédaction : Dominique Hutin, journaliste et oenologue
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